Le Café Politique

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  Pour le meilleur ou pour le pire

vendredi 30 mars 2018, par Stuart Walker

L’IA, la dernière révolution technique en date, porte autant de promesses que de menaces que celles qui l’ont précédée. L’imprimerie a permis la diffusion d’idées, sans pour autant éviter les guerres de religion ; la fusion de l’atome a réduit le coût de l’énergie tout en nous dotant d’une arme d’autodestruction massive.

Nous avons sans doute moins d’optimisme par rapport aux prouesses technologiques que par le passé. Théoriquement elles auraient pu créer un nouveau monde. On pouvait encore le croire dans les années ’60, qui ont vu une courte période sans conflit majeur dans le monde. Aujourd’hui la carte du monde est constellée de zones de guerre.

Cet optimisme se retrouvait dans les thèses d’Amartya Sen, Prix Nobel d’Économie en1988, qui maintenait que les sociétés ouvertes finiraient toujours par prévaloir, parce qu’elles permettaient la confrontation d’idées. Un magnat de la presse britannique déclarait à la même époque que la puissance des télécommunications sonneraient inévitablement la fin de l’autocratie en Chine.

Il a du déchanter. Le progrès technique et la démocratie ne sont pas allés la main dans la main dans L’Empire du Milieu. Il est prévu que ce pays dépassera en IA dans les années 2020 une Amérique qui investit de moins en moins dans la recherche, et qui n’attire plus les meilleurs scientifiques du monde. Les géants de l’informatique, comme Tencent ou Alibaba, rivalisent déjà avec leurs consœurs américaines. C’est pourtant un pays ou l’internet est surveillé par de centaines de milliers d’agents de la police secrète, et un projet actuel prévoit d’équiper les villes avec des millions de caméras à reconnaissance faciale.

L’Occident a au moins conscience des menaces. Les plus grandes opérateurs des algorithmes, les GAFAM, se sont attirés les foudres de la presse. Leurs PDG prétendent qu’ils œuvrent pour le bien de l’humanité, ce qui sonne creux quand on sait l’étendue de leurs fortunes et leurs prodiges d’optimisation fiscale.

Est ce que les valeurs démocratiques sont bien servis par la cession à un cabinet de 50 millions de données personnelles, utilisés par la suite pour faire du profilage destiné à influencer le cours des votes populaires comme le Brexit ou la Présidentielle américaine ? Ou par la création d’une génération d’enfants incapables de maintenir leur concentration plus longtemps que la durée d’un texto ?

On n’a pas besoin d’avoir fait Harvard pour reconnaître la différence entre la liberté d’expression et l’incitation à la haine. Pourtant les réseaux sociaux continuent à laisser proliférer des sites de propagande mortifère. Ils se déclarent incapables d’exercer les contrôles nécessaires. Soit ils sont sincères, et leurs algorithmes ne sont pas à la hauteur ; soit c’est un prétexte, et ils se rendent complices d’actes et de mouvements terroristes.

Amazon se vante d’être créateur d’emplois en implantant en France un de ses plus grands centres de distribution. Soit, mais la plupart de ces emplois seront soumis à un controlimpitoyable de la manutention des colis, chronométrée à la minute près par un bracelet électronique. S’il est vrai que les portes de sortie comporteront le stationnement permanent d’ambulances pour les employés qui succombent aux cadences, on peut supposer que Mr. Bezos ne tardera pas à s’assurer que ce seront des ambulances sans chauffeur.

C’était dans les années 1880 que l’Amérique a voté ses premières lois anti-trust. Elles ont permis à Théodore Roosevelt de poursuivre une quarantaine d’entreprises dont la taille faussait la concurrence. Leçon qui n’a visiblement pas échappé à Margrethe Vestager, Commissaire Européenne de la Concurrence, dans sa décision d’’infliger une amende de 2.4mds€ à Google pour abus de position dominante. Même s’il y a peu de chance que ce montant soit versé, il pourra tempérer les ambitions de la société. Comme ce qui s’est passé en 2000, lors de la poursuite de Microsoft, qui s’est soldé par un arrangement.

L’IA restera artificielle. Selon Cédric Villani elle échoue à certains tests qu’un enfant de 2 ans peut réussir. L’intelligence humaine est le résulta de facteurs comme l’hérédité, l’environnement socio-économique, l’expérience... Giulia Enders nous a appris que, en plus de l’ intelligence du cerveau, il existe celle de l’intestin, qui contient des milliards de micro-organismes qui influencent nos décisions. Comment intégrer tout cela dans une machine ? Celle qui a battu le champion du monde de Go, ne savait pas qu’elle jouait au Go. Elle n’a éprouvé aucune sentiment de satisfaction lors de sa victoire.

Les machines intelligentes n’ayant pas d’éthique, elles réaliseront leur potentiel bénéfique dans la mesure ou l’homme peut créer et défendre des instances, nationales ou supra-nationales, capables d’encadrer les activité des concepteurs et utilisateurs de ces outils. Les difficultés déjà éprouvées à obtenir et faire respecter des accords sur les armements nucléaires, ou le climat, indiquent que c’est loin d’être gagné. Mais le fait que ce soit difficile n’est pas une raison d’y renoncer.